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Furioso
Faire des quatre mousquetaires des combattants de choc
de la France libre, en 1940, c'est l'idée originale de
ce remarquable roman. Les héros: Philippe de Maupertus (d'Artagnan), jeune aristocrate aussi idéaliste que courageux; Pablo Castagnas dit "La Castagne" (Porthos), hercule pied-noir, totalement dévoué à ses amis; David Belletoise (Aramis), juif coureur de jupons; et surtout Jean Bréval (Athos), fascinant personnage dont on ne sait, à un certain stade du roman, s'il est un héros ou un agent nazi... L'action de ce livre au ton picaresque commence avec
l'arrivée en Angleterre, en 1940, de Philippe, qui se
joint au commando d'élite du général de Gaulle, aux
côtés de Bréval et Pablo. Les trois organisent l'évasion
rocambolesque de David, accusé - à tort - de
l'assassinat d'un mari jaloux... L'équipe ainsi
constituée va vite trouver à exercer ses talents. Churchill, dont la secrétaire, la douce Mary, est amoureuse de Philippe, obtient de de Gaulle que le quatuor aille en Allemagne récupérer l'album compromettant. Arrivés chacun de son côté sous déguisement à Berlin, les quatre mousquetaires pénètrent les milieux nazis. Pablo s'introduit chez les hommes de mains SS, David devient le compagnon de beuveries et d'abominables divertissements de Heydrich. Philippe devient l'amant de Maria Eberhardt, la maîtresse officielle du chef SS. Personnage effroyable, Maria est une juive passée dans le camp nazi et devenue la plus impitoyable tortionnaire de son peuple. Quant à Bréval, ses trois compagnons découvrent avec stupeur qu'il est un officier SS de premier plan, connu sous le nom du "Maudit". Les péripéties les plus extravagantes se succèdent,
accompagnées de descriptions horrifiques des moeurs et
techniques d'interrogatoires des SS. L'album photos sera
finalement récupéré dans la base secrète démoniaque de
Heydrich, au bord de la Baltique. Mais seul Philippe
réussira à s'échapper pour le rapporter en Angleterre,
laissant derrière lui ses trois amis. Ce qui annonce la
suite de leurs aventures, racontées dans Fracasso. Enchaînant les rebondissements sur un rythme échevelé, le livre oscille sans cesse entre l'humour énorme et l'horrible. Cet authentique roman de la IIème guerre mondiale n'est en rien une simple transposition des Trois Mousquetaires, mais les clins d'oeil et allusions au roman de Dumas sont constants - et parfois surprenants. Le parallèle le plus évident tient aux quatre héros. Philippe campe un d'Artagnan tout jeune assez convaincant, sans grande surprise, tandis que Pablo évoque Porthos de façon amusante, quoique un peu caricaturale. David Belletoise est un Aramis très intéressant: tout à sa joie de vivre au début du livre, il subit une évolution dramatique lors de l'expédition en Allemagne quand, juif, il est confronté au sort réservé à ses frères. Mais la grande réussite est celle du personnage d'Athos: terriblement impressionnant avec son visage ravagé, sa volonté inflexible et le mystère total qui l'entoure, son personnage égale en abnégation et en noblesse celui de Dumas. Bréval est en fait un soldat français qui, ayant compris très tôt la réalité du nazisme, n'a pas hésité à s'engager dans les SS et à y "faire carrière" pour mieux renseigner son pays (sa présence en Angleterre s'expliquant par le fait que l'Allemagne croit l'employer à espionner le camp allié). Ce faisant, Bréval est allé jusqu'à compromettre totalement son honneur puisque, quand ses activités apparemment nazies se révèlent, quasiment personne ne sait qu'il travaille en fait pour la France. D'autres personnages viennent tout droit des Trois
Mousquetaires, au premier rang desquels Maria
Eberhardt (Milady) qui, en matière de traîtrise, de
pratique du meurtre en masse et de cruauté fait passer
son modèle pour une aimable jeune fille de bonne
famille. Dans certains cas, le parallèle avec les héros de Dumas est plus allusif. Mais les chamailleries entre de Gaulle - avide de respect et cruellement conscient de son impuissance - et Churchill - qui a tous les pouvoirs en Grande-Bretagne mais s'astreint à ménager la susceptibilité du Français - font immanquablement penser aux relations complexes entre Louis XIII et Richelieu... Dans le cours du récit, enfin, de nombreux épisodes évoquent la saga des mousquetaires: quand les nazis exécutent Mary, qu'ils ont enlevée, ils enferment Philippe, prisonnier, sous l'estrade de l'échafaud, en s'amusant de copier la scène de l'exécution de Charles II d'Angleterre dans Vingt ans après (et non dans Le vicomte de Bragelonne comme l'affirme l'officier allemand). Et à la fin du livre, Pablo use ses dernières forces à
empêcher une grille de la base secrète de se fermer,
pour laisser fuir ses amis, à l'image de Porthos dans la
grotte de Belle-Isle.
Extrait du chapitre 44 Où Maupertus se retrouve seul et s'émerveille à la pensée que la vie, parfois, tient à une bulle La Castagne n'en pouvait plus. Le poids de David évanoui rouvrait la blessure de ses épaules. Les deux trous dans sa poitrine crachaient le sang. Appuyé d'un bras à la paroi du chenal des sous-marins, il sautait sur un pied, le long du quai étroit, vers la trouée au loin, la liberté, la mer! Et ce souterrain devant lui qu'il n'en finissait pas de finir! Et la bave blanche derrière lui qu'elle avait perdu du temps à remplir la soute aux U-Boote mais qu'elle rattrapait, vite fait, son retard, et qu'il la sentait derrière lui, tout près, pas bavarde, mais affamée. - Bréval! cria-t-il encore. - J'arrive, Pablo, lui répondit l'écho. La Castagne sauta plus vite, plus loin, et la tête de David, cognant son dos en sang, lui fit encore plus mal, mais il était au-delà de la souffrance. Soudain, son oeil se fixa: il avait entendu un bruit, un grondement. Son coeur battit plus fort. C'est pas possible, fils! La schkoumoune elle va quand même pas continuer longtemps! Si! Inexorablement, au bout du souterrain, la grille d'acier redescendait de la voûte. Lentement, lentement. Maintenant on voyait ses doigts pointus se détacher sur la lueur de la lune, descendre, encore descendre. La Castagne se retourna dans le boyau: il vit la frange de mousse trente mètres derrière lui. Il se retourna encore: il revit la grille descendre trente mètres devant lui. - Attendez un peu, mes patchos, dit-il, ça ne va pas se passer comme ça. D'un coup d'épaule, il déchargea Belletoise, le laissa glisser à terre, le cala contre le mur du souterrain, puis, plus léger maintenant, se jeta en avant, se poussant du bras sur le côté, il se rua vers la grille. David Belletoise, qui pouvait voir, entendre, penser, mais qui ne pouvait plus bouger, se dit: "Lui aussi, il m'abandonne!" - J'arrive Pablo, j'arrive! Bréval peinait en remontant la plage, ses bottes s'enlisaient dans le sable sec. - Pablo! Où es-tu? criait-il en courant. Il vit, lui aussi, la grille descendre. Poussant un cri furieux, il essaya de courir plus vite, mais le sable le buvait. Maintenant, la grille n'était plus qu'à deux mètres cinquante du sol. - Pablo! hurla-t-il. Pablo surgit dans la trouée. Son pauvre corps cassé leva la tête, s'adossa au mur et bloqua son unique jambe au sol sous la grille qui descendait. - Viens vite! Cours! appela Bréval. - Tu voudrais pas! répondit La Castagne. David, il est derrière! Mate un peu, Jean! Tu vas voir ce que tu vas voir. - Attention! cria Bréval. Vite! La grille! La grille, je te dis! Pablo secoua la tête. La grille atteignait sa tête, les piques enserrèrent ses épaules. La Castagne ne se baissa pas, ne s'enfuit pas. Il banda ses muscles, serra les dents. - Mais tu es fou! hurla Bréval, courant toujours. Lâche ça! La grille pesa autour du cou de Pablo, pesa plus fort, le visage de La Castagne vira au rouge, puis au violet. - Fissa! cria-t-il, essoufflé, à Bréval qui se hissait dans la dernière pente. Va récupérer le David! Je la tiens cette putain de ferraille. La grille l'écrasait toujours, mais maintenant son mécanisme patinait, elle ne descendait plus, ou si peu, si peu... - Fais vite quand même, dit Pablo en tournant la tête vers l'intérieur du boyau. La mousse, elle est plus loin du Belletoise, maintenant. Le grondement devint plus fort. La machine s'affolait. Une expression de triomphe tranquille s'élargit, d'abord, sur le visage de la Castagne, puis, soudain, d'étonnement, de stupeur. Son pied avait glissé! Son pied glissait encore! La grille était plus forte que lui! Plus forte? Ça non! Il accrocha ses mains aux barres transversales, fit un "épaulé-jeté", tenta le "développé", jura. La grille le pliait peu à peu, elle lui faisait courber les épaules. Elle descendait, maintenant, aussi lentement, aussi irrésistiblement qu'avant. Bréval n'était plus qu'à douze mètres, dix mètres; il ne criait plus pour épargner son souffle. Maintenant La Castagne s'accroupissait sous la griffe inhumaine. Il poussa un rugissement furieux, arracha ses épaules à la grille, s'allongea sur le ciment, posa son coude à terre, bloqua sa main sous son menton et attendit. Un hurlement de souffrance lui échappa; deux des piques de la grille s'enfonçaient en lui. - Fissa, Jean, j'tiens plus, beugla-t-il. Dix secondes encore, il bloqua la grille, et, Atlas vaincu par son fardeau, il céda. Les pointes d'acier le piquèrent dans le sol. Bréval était enfin arrivé. Accroché aux barreaux de la grille il répétait: - Pablo. Pablo. - J'ai mal, dit Pablo. |
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