Frédéric, d’Artagnan et la petite chinoise in "Les Indes Galandes"
Roger Nimier
9 pages 1952 - France Nouvelle
Intérêt: ***
Avec cette brève nouvelle, Roger Nimier donne sa première
variation sur le thème de d'Artagnan, dix ans avant son
roman D'Artagnan amoureux.
Ce conte de Noël narre l'histoire d'un petit garçon,
Frédéric, tombé amoureux de Shou, une petite
voisine chinoise. Frédéric est très malheureux
car Shou a repoussé ses avances avec cet argument imparable:
"la France est plus petite que la Chine".
Mais Frédéric reçoit une aide inattendue:
celle de son héros préféré, d'Artagnan.
Informé du problème, le mousquetaire entraîne
le petit garçon en Chine, conquiert le pays à lui
tout seul et l'annexe à la France (les douze cent trente
mille soldats de l'armée chinoise crient "Mordiou!"
en apprenant la nouvelle et leur général entonne
la Marseillaise).
Le temps de rentrer, et Frédéric constate que les
deux pays ont effectivement fusionné, qu'il habite désormais
Pékin-sur-Seine et que ses parents le nourrissent de nids
d'hirondelles achetés chez Félix Potin. Il épouse
Shou.
Extrêmement originale, cette nouvelle est une merveille
de poésie, d'humour et de finesse. L'imbrication du rêve
et de la réalité dans l'esprit de Frédéric,
autour de la figure de son héros, font de ce texte la
plus belle illustration qui soit de ce que peut représenter
le mythe de d'Artagnan dans un esprit d'enfant...
Extrait de la deuxième partie, chapitre trois:
Or, un soir qu'il parcourait pour la quatrième fois
Les Trois Mousquetaires, mais sans plaisir, parce que
ces diables de Mousquetaires, au lieu d'agrandir la France, ne
pensent qu'à des fariboles et à des carambistrouilles
- un soir, dans son lit, il sentit une main qui lui frappait
l'épaule. Il releva les yeux et il aperçut un gentilhomme
en pourpoint jaune, avec des culottes rouges, des bottes de cuir
vert et des plumes blanches sur son chapeau.
D'Artagnan (car c'était lui) plissa les yeux en disant:
- Alors, qu'est-ce qui nous chagrine, mon gros rat?
- Bah ! soupira Frédéric. Vous ne pourriez pas
comprendre. Ce sont des mystères du coeur humain qu'on
ne connaissait pas à votre époque.
D'Artagnan tira sur une de ses moustaches et ses yeux devinrent
tout rouges. Le petit garçon fut ennuyé d'avoir
chagriné son héros favori.
- C'est à cause de la Chine, dit-il.
- La Chine, palsambleu! Et qu'est-ce qu'elle nous a fait, mordiou,
cette Chine de malheur?
Alors Frédéric lui raconta ses amours avec Fleur-de-Lotus-aux-yeux-d'hirondelles-prêtes-à-s'envoler-pour-ne-plus-revenir.
Quand il eut terminé, d'Artagnan resta songeur.
- C'est ennuyeux, dit-il. Mes affaires m'appellent en Angleterre
pour une question qui intéresse l'honneur du royaume.
- Je sais, dit Frédéric. Les ferrets de la reine.
- Elle t'en a parlé? demanda d'Artagnan avec une finesse
toute gasconne.
- Elle n'a rien à me cacher. Je sais aussi qu'elle est
amoureuse de Buckingham.
- Ça, je ne veux pas le savoir. Bouquinquant, ou pas Bouquinquant,
il faut que j'aille à Londres. Mais rien ne m'empêche
de passer par la Chine.
- Et qu'est-ce que vous ferez en Chine?
- J'en ferai la conquête, déclara d'Artagnan avec
une candeur bien gasconne.
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