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Le pont des soupirs

Michel Zévaco

318 pages
1909 - France
Roman

Intérêt: *

 

 

Infatigable auteur d’innombrables feuilletons, Zévaco s’est bien sûr inspiré de Dumas. Son roman Nostradamus reproduit d’ailleurs de très près les grandes lignes du Comte de Monte-Cristo. Et ce dernier livre se retrouve également très nettement dans Le pont des soupirs (et sa suite Les amants de Venise).

L’histoire se déroule à Venise au début du XVIème siècle. Elle commence par les fiançailles de Roland Candiano, le fils du doge, épris de liberté et adulé par le peuple, et de Léonore Dandolo, descendante d’une grande famille de la ville.

Mais le bonheur des deux jeunes gens leur vaut bien des ennemis. Soit qu’il s’agisse de jalousies personnelles, soit que les idées de liberté et la popularité de Roland inquiètent parmi les grands seigneurs qui exercent une véritable dictature sur la ville par l’intermédiaire du redoutable Conseil des Dix.

Un complot se monte donc contre Roland et son père. On y trouve Altieri, membre du Conseil des Dix et amoureux fou de Léonore; Bembo, intrigant qui hait Roland; Foscari, qui veut devenir doge; Imperia, courtisane de haut vol, amoureuse de Roland et qui ne supporte pas d’être repoussée par lui…

Les conjurés s’arrangent donc pour faire accuser Roland d’un meurtre commis en fait par Imperia. Il est arrêté au milieu de ses fiançailles, jeté en prison dans les tristement célèbres plombs de Venise. Son père est renversé, on lui crève les yeux et il est laissé à mendier dans la campagne italienne où il devient fou.

Roland passe six ans à l’isolement presque complet dans les geôles de Venise, avant d’avoir l’occasion de s’enfuir avec un compagnon de captivité, Scalabrino, qu’il a rejoint en creusant un tunnel entre leurs cachots.

Quand il sort, il apprend que Foscari est devenu doge; Altieri commande les troupes de Venise; Bembo est évêque de la ville… Quant à Léonore, elle a épousé Altieri, poussée par son père. Ce dernier s’est fait le complice passif des ennemis de Roland et a fait croire à Léonore que son fiancé était mort. Il en a été récompensé en étant nommé Grand Inquisiteur (voir extrait ci-dessous).

Une fois libre, Roland entreprend bien sûr de se venger. Il fédère sous son autorité les bandes de brigands qui écument Venise et son arrière-pays.

Petit à petit, il s’en prend à Imperia, Bembo et les autres. Au terme d’intrigues complexes, qui jouent sur les données historiques de l’époque, il finira par se débarrasser de ses ennemis – qui périssent généralement de manière particulièrement violente – épouser Léonore et devenir doge.

 

Comme on le voit, la similitude de l’intrigue avec celle de Monte-Cristo est très nette. Mais on a l’impression que le roman de Dumas a fourni à Zévaco une trame assez lâche, plutôt qu’un modèle précis.

Alors que Nostradamus évoque Monte-Cristo de bout en bout, ce n’est pas le cas ici: très nette au début, la similitude entre les deux livres se dilue ensuite fortement.

Une différence importante, également: Roland ne devient nullement un surhomme. La prison ne le transforme pas. Et s’il devient redoutable par la suite, c’est du seul fait de son courage, de son intelligence et du prestige dont il jouit comme fils de l’ancien doge: rien d’extraordinaire là-dedans.

Le parallèle entre Le pont des soupirs et Le comte de Monte-Cristo demeure donc assez superficiel. Ce qui n’empêche pas le roman de Zévaco d’être excellent. Le portrait qu’il trace de Venise et de ses nids d’intrigue est captivant. Certains personnages sont très réussis, en particulier celui de l’Arétin, poète vénal et lâche, qui vit entouré du harem de ses «Arétines» mais qui, ayant plutôt bon fond, se dévoue à Roland.

 

Extrait de Le pont des soupirs, chapitre 18 La tablette du condamné

(Roland et Scalabrino viennent de s’enfuir des prisons de Venise)

Roland pénétra dans le logis. Tout y était pauvre, mais non dépourvu d’une certaine coquetterie. Juana elle-même rehaussait sa toilette d’un ruban et d’un collier de verroterie. Elle était demeurée immobile, toute pâle, et sa main qui tremblait convulsivement désignait sur une table un morceau de parchemin cloué sur une planchette.

Roland suivit la direction de la main, aperçut le parchemin et s’en approcha.

Il entendit alors Juana qui bégayait:

- Je l’ai arraché hier à la porte basse de Notre-Dame de la Salute…

Ce parchemin, c’était une des tablettes qui annonçaient au peuple l’exécution publique du bandit Scalabrino.

Il était daté du 4 juillet de l’an 1515.

Cette date fulgura devant les yeux de Roland.

- Six ans!...

Le premier moment fut un étonnement inexprimable chez Roland. Si, la veille, on lui eût brusquement demandé depuis combien de temps il était enfermé, il eût répondu:

- Deux ou trois ans, peut-être…

Au-dessus de la table, il y avait un miroir.

Il se regarda et fut épouvanté de ne pas se reconnaître. Deux plis verticaux très durs, très profonds barraient son front, ses lèvres s’étaient comme pétrifiées; ses traits devenus durs s’étaient creusés.

Il détourna son regard qui, machinalement, retomba sur la tablette.

- DANDOLO, Grand Inquisiteur d’Etat.

- FOSCARI, doge.

- ALTIERI, capitaine général.

Au-dessous des trois noms, l’évêque de Venise demandait au peuple une prière pour l’âme du condamné.

Et ces dernières lignes étaient signées:

- BEMBO, par la grâce de Dieu évêque de Venise.

Roland, sans dire un mot, attira à lui une chaise. Il s’assit, plaça ses deux coudes sur la table, mit sa tête dans ses deux mains.

Et alors, d’une voix étrange, il assembla ces quatre noms qui, sur la tablette du condamné, se détachaient en lettres de feu:

- Dandolo! Foscari! Altieri! Bembo!...

Et il lui sembla que le nom du condamné, ce n’était pas Scalabrino, mais Roland Candiano!...


 

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