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Les Effacés
Tome 6 Station Dumas

Bertrand Puard

384 pages
Hachette Livre - 2013 - France
Roman

Intérêt: **

 

 

A côté des livres dont la trame s’inspire directement d’un roman de Dumas, pour en faire une suite, un plagiat, un pastiche ou un remake, et qui n’existeraient pas sans ce modèle, il y a aussi ceux qui y font référence de façon plus lointaine mais claire et nette toutefois : ceux qui rendent hommage, en quelque sorte, à l’œuvre de l’auteur des Mousquetaires et de Monte-Cristo. Dans cette catégorie plus diffuse, on peut placer par exemple Balzac et la petite tailleuse chinoise, Room ou Adamas maître du jeu. Et c’est également à ce registre qu’appartiennent la série Les Effacés et, singulièrement, son sixième et dernier volume intitulé Station Dumas, bourré de références au Comte de Monte-Cristo. Rien d’étonnant de la part d’un auteur, Bertrand Puard, qui est un grand passionné de Dumas à la vie duquel il a consacré le roman Alexandre, l’intrépide Dumas.

Ce thriller pour adolescents comprend six volumes comptant environ 2.200 pages au total. Il s’agit d’une histoire unique, structurée en six romans distincts et quelques nouvelles complémentaires. L’intrigue, qui comporte de multiples développements, ne saurait être résumée en quelques lignes. Elle se situe dans la France des années 2010 (et dans beaucoup d’autres pays du monde). Les personnages principaux sont cinq adolescents qui tous sont censés être morts, victimes d’accidents (en fait des assassinats). Les cinq ont été sauvés in extremis dans le plus grand secret par un personnage mystérieux qui se fait appeler Nicolas Mandragore. Ce dernier met en scène la mort des ados en fournissant par exemple des cadavres de substitution, de façon à ce qu’ils soient considérés comme effectivement décédés. Dès lors, ils n’ont plus d’existence légale, ils sont « effacés » et vivent dans la clandestinité. Ils sont tous, de plus, seuls au monde : leurs parents ont également été tués – on comprend vite que des services secrets ont cherché à éliminer toutes les personnes mêlés à certains secrets d’Etat.

Mandragore les recrute donc et en fait ses agents qu’il charge de mener à bien diverses missions toutes plus dangereuses et importantes les unes que les autres. Leur mystérieux mentor dispose d’une base secrète hypersophistiquée dans la région parisienne et de moyens technologiques d’avant-garde. Il fait de ces ados des tireurs d’élite, des conducteurs hors pair, des experts en informatique, etc. Leurs missions consistent à empêcher un groupe pharmaceutique sans scrupule de libérer dans le monde un virus effroyablement dangereux pour pouvoir commercialiser ensuite à prix d’or l’antidote, ou encore à s’opposer à la diffusion d’un logiciel destiné à provoquer l’effondrement complet des marchés financiers de la planète et le chaos économique qui en résulterait.

Au fil de ces missions, il apparaît petit à petit que tout est lié : les cinq adolescents (qui ne se connaissaient pas) et leurs parents, leurs assassinats à tous, les ennemis qu’ils affrontent, tout cela tourne autour du président de la république française Hennebeau, de son âme damnée Dominique Destin, de son opposante Marie-Ange Mouret et du mystérieux Nicolas Mandragore. On apprendra dans le dernier volume qu’ils se sont rencontrés près de quarante ans plus tôt, lors d’un événement dramatique survenu à Paris dans la station de métro Alexandre Dumas… Un événement qui a engendré entre ces différents personnages des relations complexes d’amour et de haine, de collaboration et de rivalité. De quoi amener Mandragore à mûrir sur de longues années un grand projet de vengeance contre les puissants de ce monde.

Car dans l’univers des Effacés, il est clair que c’est le « tous pourris » qui règne. Grands industriels, banquiers, hommes et femmes politiques sont tous prêts à tuer, à grande échelle s’il le faut, pour préserver leur pouvoir ou leurs intérêts financiers. Au point que l’Elysée semble consacrer une part importante de sa masse salariale à la catégorie « tueurs à gages ». Ce qui permet à Mandragore, en guerre contre le président de la République et ses alliés, de présenter sa vengeance personnelle comme une lutte contre l’injustice.

Avec sa rapidité échevelée, ses rebondissements et coups de théâtre incessants, ses perpétuels changements de décors, la série appartient au registre des « page turners », ces romans où l’on ne peut s’arrêter de tourner les pages pour savoir la suite. Les morts reviennent, les perspectives sur les personnages peuvent basculer en un instant, les inventions les plus délirantes prolifèrent, le tout avec beaucoup de rythme et de fantaisie dans une optique très cinématographique : on pense souvent aux films de James Bond ou à la série Mission Impossible, sauce ados. Avec aussi plein de références littéraires et des passages qui évoquent, de façon beaucoup plus traditionnelle, la série pour adolescents des aventures de Bob Morane.

Et Dumas dans ce roman fleuve ? La série est imprégnée bien sûr d’un certain esprit dumasien, s’inscrivant dans la ligne des romans feuilletons du XIXème siècle. Plus concrètement, les références à l’écrivain et à son œuvre abondent. Il y a bien sûr le choix symbolique de la station de métro Alexandre Dumas comme endroit où tout a commencé. Il y a ensuite de multiples mentions du Comte de Monte-Cristo. Il s’agit du roman favori de Mandragore qui, dans son repaire, dispose d’une bibliothèque « exclusivement constituée d’exemplaires du ‘Comte de Monte-Cristo’ en différentes éditions, différents formats et même différentes langues ».

Mandragore a évidemment trouvé dans le roman de Dumas une source d’inspiration pour son grand projet de vengeance, même si la sienne diffère beaucoup de celle d’Edmond Dantès. Parmi les points communs on peut relever les moyens financiers et matériels illimités dont dispose le mentor des Effacés, sa quasi omniscience et sa quasi omnipotence (temporaire) – même si, on peut le regretter, on ne reçoit guère d’explications convaincantes sur l’origine de tout cela.

Et il y a enfin, une bonne partie de l’intrigue du sixième et dernier volume, Station Dumas. Là, non seulement on apprend ce qui est arrivé en 1974 dans cette station de métro, mais l’on voit apparaître de nombreux éléments liés à Monte-Cristo. Le volume commence avec la projection pirate dans des centaines de cinémas en France d’un film racontant l’histoire des Effacés (correspondant au premier tome de la série). Sorti on ne sait d’où, ce film suscite un scandale national puisqu’il commence à révéler les turpitudes commises en haut lieu. Seule indication d’origine : le film est réalisé par « Monte-Cristo Productions ». Les plus sidérés par cette projection sont les Effacés eux-mêmes, qui ne peuvent que constater l’extraordinaire exactitude de cette reconstitution cinématographique dont ils n’avaient jamais entendu parler.

Ils se lancent alors dans une vaste enquête pour comprendre qui a réalisé ce film et pourquoi. Leurs investigations leur font découvrir que Monte-Cristo Productions est une société qui existe depuis longtemps, même si elle n’a jamais sorti aucun film en salle. Remontant le fil de l’histoire, ils arrivent dans un coin perdu de la Vallée de la Mort aux Etats-Unis : ils y trouvent de vastes studios abandonnés construits autour d’une reconstitution grandeur nature du château d’If, vestiges d’un projet de tournage d’une immense adaptation de Monte-Cristo (voir premier extrait ci-dessous).

Leur quête les mène enfin au repaire de la mystérieuse personne qui tire les ficelles de tous ces événements. Surprise : cette « base secrète » qui abrite les nouveaux studios de Monte-Cristo Production où a été tourné le film qui a mis la France en émoi est située dans un lieu réel familier des lecteurs de pastichesdumas.com : Monte Cristo, la ville abandonnée des chercheurs d’or, à laquelle notre site consacre un long article qui a inspiré Bertrand Puard (voir deuxième extrait ci-dessous). Un lieu que l’on retrouve dans Vol 1618, roman qui fait suite à la série des Effacés, où la ville fantôme de Monte Cristo se retrouve dotée d’une piste secrète d’atterrissage pour Airbus détourné…

Station Dumas s’achève ainsi sur un feu d’artifices de références à Monte-Cristo – ainsi que sur une intéressante mise en abyme avec le film apparaissant dans le tome 6 pour raconter de nouveau le tome 1. De quoi se poser la question : tout cela n’est-il que du cinéma ?

Il ne faut certes pas trop s’attacher, dans une série comme celle-ci, à la vraisemblance, et l’on peut regretter un certain manque d’explications. Mais la profusion d’inventions, les surprises constantes, le rythme effréné – et les multiples références à Dumas - font de la lecture des Effacés un plaisir qui ne se dément pas jusqu’à la dernière ligne. Bertrand Puard s'explique dans une interview accordée à pastichesdumas sur son obsession pour Le comte de Monte-Cristo.

Notons enfin qu’un certain parallèle peut être établi avec une autre série : celle qui commence avec Adamas maître du jeu et se poursuit avec L’or des Malatesta, le troisième tome étant attendu. Les histoires sont totalement différentes mais dans les deux cas il s’agit de séries visant en premier lieu un public adolescent, écrites selon les techniques du « page turner », fourmillant d’inventions et de références littéraires, et pleines de clins d’œil à Dumas.

 

Extraits
Chapitre 46, Vallée de la Mort, Etats-Unis d’Amérique, 10 septembre

Neil et Nikolaï découvrirent ce qui se cachait au creux de cette vallée minérale, au sol de sable et de cailloux. Cinq hangars en tôle étaient disposés autour d’un lac asséché au milieu duquel se trouvait une île. Et sur cette île un château, un vrai celui-là. Ou tout au moins la reproduction d’un célèbre château français situé au large de Marseille et immortalisé dans une des plus grandes œuvres de la littérature mondiale. Le château d’If. Le château d’If, menaçant même en plein désert, avec ses deux énormes tours rondes et le donjon qui le coiffait.

Le lieu où Edmond Dantès avait été emprisonné pendant vingt années pleines avant d’en sortir, riche des secrets de l’abbé Faria.

Bien évidemment, les deux acolytes se devaient d’explorer cette construction grandeur nature. Ils s’y précipitèrent, en descendant dans le lac asséché. Mais les accès au château étaient tous fermés et ils durent rebrousser chemin. Ils étaient terriblement déçus.

Alors ils forcèrent l’entrée du hangar le plus proche et découvrirent des centaines et des centaines de costumes d’époque, du XIX° siècle, couverts d’une poussière claire, des perruques également, ainsi que des postiches de toutes sortes, et des accessoires, des épées, des pistolets, des explosifs, aussi, pour assurer les éventuels effets spéciaux, et une calèche, plusieurs, même, que Nikolaï découvrit au détour d’une plantation entière d’arbres aux feuilles en tissu.

- Je crois que j’ai trouvé plus barge que moi avec ces jumeaux. Construire ça ici, et tourner leur bordel sans que personne vienne jamais à s’en apercevoir, ils ont dû verrouiller sec le truc... Ça devait se voir depuis Google Earth, leur vallée... Ou alors c’est qu’ils ont graissé la patte de ceux qui assurent la transmission des images par satellite pour les gommer... Et les rangers du parc ont dû toucher un sacré pactole pour fermer leur gueule et ne rien dire aux autorités. . .

- Pas de doute, constata Neil, au comble de l’excitation. Nous venons enfin de trouver les studios de Monte-Cristo Productions. Et je commence à saisir le grand projet des jumeaux Brunante : réaliser une adaptation du roman de Dumas, le roman préféré de Nicolas Mandragore...

- Sauf que ce n’est pas ici qu’a été tourné Toxicité maximale... Il n’y a aucun décor moderne, le site a été conçu pour un film en costumes...

Le film de toute une vie. Le film à la réalisation duquel les jumeaux Brunante avaient passé leur existence entière. Mais l’avaient-ils terminé, au moins?

Les quatre autres hangars livrèrent leurs secrets l’un après l’autre. Ils contenaient chacun la reconstitution d’un décor nécessaire à l’adaptation du roman de Dumas sur grand écran. Une luxueuse salle de bal que pas même les années passées n’étaient parvenues à rendre obsolète, tout un quartier de Paris avec tout ce que cela supposait de clichés – le salon d’un barbier, un kiosque à journaux, un boulanger, un boucher et le reste. Et, dans le hangar suivant, ils trouvèrent une autre rue, cette fois à Rome puisqu’un bout du Colisée avait été peint sur une grande toile dans le fond du décor. Le dernier était dévolu à diverses reconstitutions, adaptées à différentes saynètes : une vieille auberge de campagne au plancher de bois vermoulu, ainsi que plusieurs intérieurs bourgeois meublés comme il se devait au XIXe siècle, sans la moindre faute de goût ni le moindre anachronisme.

Et, devant chacun de ces décors, Neil et Nikolaï trouvèrent encore les caméras disposées selon les différents angles choisis par les réalisateurs, les spots d’éclairage et les fauteuils pliants des acteurs et des actrices, ceux des Brunante aussi, devant la rue de Paris, dont le nom était imprimé en grand sur le dossier de toile. On aurait dit qu’il aurait suffi d’enclencher une bobine vierge sur l’appareil, de rétablir l’électricité et tout aurait été en mesure de reprendre vie.

Il y avait jusque-là des villes fantômes dans l’Ouest américain. Il y avait à présent un studio fantôme, celui de Monte-Cristo Productions.

 

Chapitre 49, Dans un endroit encore indéterminé, 10 septembre

- Vous êtes ici chez moi, dit Aurore. Le paradoxe est que vous êtes aussi ici chez vous. Nous nous trouvons au cœur d’un massif forestier sauvage, sur les flancs de la chaîne des Cascades, dans l’État de Washington, au nord des États-Unis, non loin de la frontière canadienne. Précisément sur l’emplacement d’un ancien village de chercheurs d’or qui portait le nom de Monte-Cristo.

Elle observa les visages des Effacés et ne remarqua aucun étonnement particulier.

- Ce village existait réellement sur les cartes, à cent trente kilomètres de Seattle. À présent, il est considéré comme un village fantôme et n’est plus desservi par aucune route, il n’y a qu’un sentier de randonnée. Il a été fondé en 1889 par un groupe de colons, à peine quelques années avant la sortie du premier film des frères Lumière. On lui donna ce nom parce que, pour attirer des pionniers, la simple mention du village devait évoquer l’idée de la richesse ainsi qu’un certain sens du mystère. Un des pionniers venait de lire le roman de Dumas. Il le résuma à ses compagnons et le nom fut donc adopté à l’unanimité. Le village connut un grand essor puis, très vite, une véritable désaffection lorsque les richesses se tarirent. En 1941, on démonta les voies de chemin de fer qui menaient jusqu’ici et le village périclita. De nos jours, il n’est plus qu’une étape pour quelques randonneurs chevronnés. Il a fallu que je déploie des trésors d’énergie et de persévérance pour bâtir ici ce que j’ai bâti et que je m’apprête à vous montrer.

Aurore reprit sa marche vers un bâtiment immense, qui apparut après une courte montée sur un talus et un passage étroit entre deux massifs rocailleux. Nikolaï s’était mis en tête du groupe pour avancer à ses côtés. Il ne disait rien, les mains jointes derrière le dos, tel un enfant sage revenu d’une punition. Un petit vent frais louvoyait entre les troncs, très agréablement.

Les Effacés notèrent l’intelligence de l’agencement des clairières. Par une prouesse aussi végétale qu’architecturale, Aurore était parvenue à aménager de grands espaces tout en conservant l’intimité du lieu puisqu’il était quasiment impossible de distinguer le ciel depuis le sol.

La femme vit qu’Anouar et Neil, notamment, étaient intrigués et expliqua aussitôt :

- Oui, il s’agit de donner l’illusion, vu d’en haut, que la forêt est dense et qu’il est impossible d’y habiter. Tous ces travaux coûteux ont été effectués par une entreprise de construction guatémaltèque réputée pour sa discrétion. Nous travaillons avec des filets recouverts de verdure qui camouflent intégralement nos installations. Il était impossible de faire cela dans la Vallée de la Mort. Les hangars, autour du gros cratère, n’étaient pas assez préservés. C’est pourquoi les premiers studios de Monte-Cristo Productions n’étaient-ils pas optimaux... Ceux-là, je peux vous l’assurer, le sont. Le seul désavantage concerne leur accès et leur ravitaillement peu aisé, que nous ne pouvons effectuer qu’en hélicoptère. Et la faible luminosité de l’endroit. Mais, pour cela, nous avons nos sunlights...

 


 

 

 

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