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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 11

La nuit du bourreau

 

La lune blanchâtre mouchetait toits et ruelles d’un fin tulle de lumière froide. Lille dormait… à l’exception de quelques venelles tortueuses, victimes d’une mauvaise affaire : un homme circulait au milieu du pavé, indifférent au bruit de sa démarche.

Autant par sa carrure que par son ombre, au surplus de son pas, il avait fait fuir jusqu’aux chats affamés. Tous sauf un… ou plutôt une ! Une petite chatte au pelage gris, endiamanté d’éclats de lune, qui, aussi curieuse que prudente, descendit d’un rebord de fenêtre. La jolie bête, elle aussi, avait renoncé à toute caresse vénale. Toutefois elle se mit à le suivre.

L’homme avait remonté le chemin qui longeait l’ancien lit de la Deûle puis tourné au coin de l’hospice Comtesse. Lorsqu’il obliqua sur la gauche, la chatte s’enfila à dessein dans une courette, ressortit en face d’un austère bastion, et avisant un muret, elle s’y posta en silence.

Il resurgit tout à coup, Goliath inquiétant sortit d’un mauvais conte, traversa la petite place qui le séparait du bâtiment et s’arrêta devant la porte. Prostrée en sphinge antique sur son perchoir de pierre, la chatte épia l’individu jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’intérieur du bastion.

- Ouvrez et laissez-nous ! Avait-il lancé à celui qui gardait la porte d’un cachot.

Aux bruits des barres que l’on tirait, puis de la clé dans la serrure, un prisonnier s’était arraché d’une minable paillasse pour se tenir debout au milieu de sa cellule.

- Charles ! s’exclama-t-il en reconnaissant l’inconnu à la lueur de la torche.

- Georges ! Georges ! Qu’avez-vous donc fait malheureux !

Et l’homme qui venait d’entrer, avança de quelques pas pour serrer le prisonnier dans ses bras.

- Comment est-ce possible ? Vous, un être si pur, si loyal… Vous ! Le prêtre de Templemar, condamné pour vol à être flétri en place publique… ! Georges… mon pauvre frère…

Il le serra plus fort contre lui, dans un douloureux soupir.

- Et pauvre de moi aussi ! Ne suis-je pas le bourreau chargé d’une telle ignominie…. N’a-t-on jamais vécu pareille douleur… un frère flétrir son frère….

- J’ai failli… murmura le prêtre en se dégageant. Je suis déchu de mon intégrité Charles ! N’en soyez pas triste ! Car je suis divisé entre le bonheur et la honte, et croyez-moi, si ce n’était cette condamnation, je puis presque affirmer que je balaierai la honte afin d’être heureux !

- Heureux Georges ! Vous seriez heureux de l’impunité d’un crime ? Je me suis fait raconter votre affaire. Comment ? ! Comment avez-vous pu... ? !

- L’amour ! avoua le prêtre soudain mélancolique.

Georges avait reculé d’un pas. Mais cela n’empêchait pas son frère de le tenir à bout de bras par les épaules.

- L’amour… ! Tout cela pour une femme ! explosa l’autre, dépité.

- ..Une jeune fille Charles, à peine sortie de l’enfance….

- Une jeune fille…. s’exclama l’homme en lâchant le prêtre dans un geste de dérision. Ah Dieu ! Sans cette dispute qui nous sépara … je vous aurais conseillé.

- Aucun conseil n’empêche l’amour Charles ! ….

- L’amour ! De votre part seulement Georges ! Mais venant d’elle rouerie sûrement … Ne connaissez-vous pas toutes les ruses utilisées par la gent féminine pour parvenir à ses fins ?

- Non mon frère, pas elle ! Ecoutez… Je la connais depuis deux ans bientôt. Je l’ai vu grandir…. La première fois que je l’ai aperçue, elle n’était même pas faite… j’ai observé son corps d’enfant, épiant sa transformation pas à pas, et je n’ai pas lutté contre mes propres désirs ! Moi, un prêtre qui doit montrer l’exemple ! ! ! !

- Naïveté ! Quelle naïveté Georges…. Cette jeune fille n’est sûrement pas innocente de votre déchéance. Et comble de tout, vous vous croyez le seul coupable !

- J’ai seul franchi un pas douteux. L’amour que j’éprouve me conduit de folie en ignominie mais….

Le prêtre Georges s’éloigna de quelques pas puis fit volte face pour ajouter :

- Cette jeune fille tout à sa jeunesse sait garder une distance… Et qu’ai-je fais ! Pendant qu’elle se paraît dans sa chambre ? J’ai osé. Je me suis penché comme pour un jeu d’enfant et là, oubliant toute morale, j’ai eu l’indignité de regarder… Non, ne riez pas de ce que je vais dire… Comme dans une farce d’enfant, j’ai regardé … par le trou de la serrure….

Le visage du prêtre s’étira dans un bref sourire, mi-taquin, mi-coupable, inachevé pourtant.

- Et j’ai aperçu, ô ciel… ! continua-t-il tout bas, j’ai aperçu… un petit bout de fesse sous une chute de rein… le reflet d’un sein rond jeté par un miroir… et cette vue suffit à faire basculer … ma raison…

- Vous avouez donc avoir une maîtresse !

- Que non !

- Vous voudriez me faire croire que cette jeune fille se fait désirer ? Pire, qu’elle se refuse après vous avoir poussé à commettre ce crime ! Elle est donc encore plus perfide que je ne croyais !

- Assez ! cria le prêtre, rendu blafard par la discussion. Charlotte est innocente !

- Charlotte, Charlotte ! Comme vous prononcez ce nom ! Vous ne pouvez pas me cacher l’amour que vous éprouvez pour elle.

- Je ne m’en cache plus… dit-il d’une voix lasse. Oui je l’aime !

- Qu’il est facile pour une femme d’abuser d’un homme ! répliqua Charles, une bouffée de haine au cœur. Il suffit d’être belle et le tour est joué. Vous vous souvenez bien de ces jeunes filles du village qui se gaussaient de nous en … émoustillant nos désirs… d’un air parfaitement innocent !

Le bourreau s’était rapproché du prêtre, ponctuant à son oreille l’évocation de chaque souvenir. Evocation qui alluma son regard d’une haine insondable. Il eut un rire méchant.

- Cette jeune fille… poursuivit-il, n’est qu’une de ces donzelles perfides qui par leur coquetterie entraînent un homme, même le plus honnête. Puis, leur amusement terminé, elles s’en débarrassent comme d’un jouet inutile, sans honorer l’espoir né de leurs sourires !

- Et même si elle était blâmable de quelques minauderies… argumenta le prêtre Georges en repoussant l’argument de la main. Est-ce seulement un crime ? Ne suis-je pas son aîné ? Non… je suis seul responsable !

Des palpitations de colère empourprèrent les joues du bourreau. Il commençait à enrager de l’entêtement de son frère. Georges était devenu sot ! C’était pourtant si facile de comprendre que la jeune fille s’était moquée !

- Georges, vous avez le cœur simple. Vous êtes aveuglé ! N’avez-vous plus d’intelligence en refusant d’admettre qui elle est certainement ?

- Arrêtez vous dis-je ! Beaucoup de belles jeunes filles nous ont méprisés ainsi, c’est exact, mais de grâce, n’allez pas imaginer qu’elles se conduisent toutes avec cette cruauté !

- Que me voilà un frère généreux, bon… mais qui n’a pas su voir…

- Cessez d’accuser cette jeune fille…. !

Le prêtre avait mis toute sa véhémence dans sa dernière protestation. Du coup, il s’en trouva épuisé. Prostré sur la paillasse où il s’était affalé, il se prit la tête dans les mains.

- De quoi serait-elle donc coupable ? soupira-t-il. Simplement d’être belle ? Oh oui j’ai rêvé de couvrir ses épaules de bijoux !

- Et parbleu, elle aurait acquiescé avec un sourire d’ange ! s’exclama le bourreau soudain moqueur.

- Mais que diable mon frère ! Connaissez-vous beaucoup de femmes qui n’aiment ni toilettes, ni bijoux ni équipage ? s’insurgea de nouveau Georges en se redressant. Connaissez-vous les trésors de patience réitérés de confessions en confessions, de sermons en sermons…. ?

- Elles commencent au berceau….

- Ecoutez-moi que diable ! J’ai confessé des femmes avouant avoir caché des parures de bijoux pour s’en faire offrir une autre ! insista le prêtre mi-riant mi-sérieux. Elles s’appliquaient à faire pénitence. Mais savez-vous ce qu’elles avaient gagné ?

- L’aveu de telles perfidies aurait dû vous mettre sur vos gardes….

Georges laissa échapper un rire bref. Puis il ajouta :

- Que croyez-vous ? Elles faisaient mine de retrouver la première parure et les rangeaient ensemble ! Je crois qu’il faut se faire à cette idée : quel que soit leur âge, les femmes rêvent toujours de bijoux, de toilettes, de parfums. Chacune à sa manière. Et nous, pauvres prêtres, après leurs confidences, nous devons absoudre, absoudre, absoudre… Charlotte est encore une enfant. En cela elle a l’innocence de son âge…

- Ce vol Georges ! Convenez-en, elle a guidé votre esprit à défaut de votre main…

- Non ! J’ai seul bafoué la morale ! continua le prêtre. Et j’ai oublié toute prudence ! Quand nous nous sommes enfuis, je n’ai pas pensé que les gens se retourneraient sur notre passage ! je n’ai pas vu combien sa seule présence à mon bras nous faisait remarquer et puis…

Il s’éloigna de quelque pas, les yeux fixés sur le sol.

- J’ai failli… dit-il à nouveau pris de fatigue. Je l’ai prise dans mes bras et…

- Ah ! Quand même… ! Elle est donc bien votre maîtresse….

- Ecoutez-moi plutôt ! répliqua-t-il d’un ton épuisé. Je n’ai pas encore osé lui déclarer mon amour ; elle est si jeune, si… intelligente, cultivée…

- Je crois surtout qu’elle n’est pas de notre monde. Cette jeune personne est née Mademoiselle de Backson, elle se moque de vous !

- Charlotte est pure…

- Pure vous dites ! Mais ne voyez-vous pas ! Cette jouvencelle mime les innocentes ! Et vous mon frère, vous avez chuté pour une jeune fille qui se moque bien de vous ! N’a-t-elle pas séduit le fils du geôlier pour parvenir à ses fins ? Ne vient-elle pas de prouver par cet acte qu’elle vous abandonne à votre sort ! !

Le bourreau dans l’élan que lui imprimait sa colère, avait traversé la cellule à grands pas. Le prêtre quant à lui, s’adossa contre un mur, face à son frère qu’il ne quittait pas des yeux.

- Non, dit-il d’une voix lasse, non… elle ne l’a pas séduit. Elle a besoin de protection. Je l’ai confiée au Benoît Rozet, fils de geôlier et notre ami d’enfance… vous vous souvenez bien de lui ? Je devais la protéger…

- La protéger ! appuya le bourreau d’un geste méprisant. Je suis prêt à parier que le juge l’aurait acquittée…

- Donc vous doutez aussi de l’intégrité d’un juge ? murmura le prêtre comme aux aguets de la réponse.

- Ah vous ne comprenez pas les avantages de la beauté ! Ces femmes là, de part leur charme, obtiennent ce qu’elles veulent sans presque rien demander !

- Je connais les abus de cet homme… articula le prêtre blanc de colère. Sa réputation n’est plus à faire : il aurait exigé d’elle le déshonneur pour prix de sa liberté ! Vous l’ignoriez ?

- Non pas…

Le bourreau soupira avant de rajouter d’un air soudain las :

- Que vous êtes naïf Georges, que vous êtes naïf… je suis persuadé qu’elle ne se serait pas refusée à lui ! et naturellement, par aveuglement amoureux, vous complétez votre malheur en vous accusant seul…

- Laissez-moi être un homme Charles ! Je veux lui prouver mon intégrité. J’ai failli à mon devoir de guide moral. Je l’ai laissée s’égarer. Pire même, je l’ai entraînée !

- A voler donc !

- Non, à fuir un destin …qui ne me concernait pas…. Cette jeune fille ne désirait rien d’autre qu’un époux. Le malheur s’est abattu sur elle ! Une famille sans pitié la condamnant au voile…

- Elle est donc religieuse ! Honte à elle !

L’indignation lui fit lever un bras accusateur tandis qu’il se rapprocha de son frère.

- Non… notre fuite justement évita ce malheur… poursuivit le prêtre.

- Qu’importe ! Pour moi elle est liée. A-t-on jamais vu quelqu’un refuser son état. Ai-je repoussé celui de notre père ? !…

- Bourreau ! ! ! Ah la belle obéissance ! s’esclaffa Georges d’un grand geste emphatique. Je ne puis comprendre votre acharnement à se soumettre sans…

- Etre le bras de la justice est un honneur ! ponctua son frère.

- A quel honneur aspirez-vous malheureux ! Celui d’exécuter un pauvre Ravaillac…. ! continua Georges ragaillardi par un sujet dont il avait tant débattu intérieurement.

- Ne criez pas… On pourrait nous entendre…. coupa le bourreau.

Puis il reprit :

- Je ne fais que servir la justice, comme notre père l’a fait ! Souvenez-vous de l’honneur qu’il mettait dans son habileté à exécuter proprement, sans autre souffrance que la condamnation…

- Honneur ! Hélas pour lui ! N’était-ce pas plutôt ce sentiment immonde que l’on appelle orgueil…, et que l’on déguise tant pour mieux le faire paraître ? Il m’a fallu devenir homme pour oser le comprendre…

Il s’approcha de Charles jusqu’à lui parler à l’oreille, puis continua d’une voix basse, en hachant les syllabes :

- Vous souvenez-vous de ce condamné roué vif, hurlant son innocence jusqu’à….

- La justice doit passer. J’ai souvent songé à l’intégrité des exécuteurs de…

- L’intégrité ! articula le prêtre Georges en lui coupant la parole sans vergogne. L’intégrité ! Vous êtes devenu fou ! Je vous parle d’un innocent ! Quant à ce malheureux Ravaillac, son crime justifiait-il une telle torture !

- La justice doit passer…

- Mon dieu Charles, comment pouvez-vous commettre de telles horreurs sans même un repentir ! Prenez garde que ces exactions ne vous hantent à chaque seconde de vos jours et de vos nuits !

- Me hanter ? Non…. Ne sommes-nous pas exécuteurs des hautes œuvres ? Les Sanson deviendront un jour une grande famille de bourreaux !

- Les Sanson et autres Troquemada traverseront l’histoire… quel triomphe ! s’écria le prêtre avec emphase. Cette idée de la justice n’est qu’un serpent d’orgueil qui rampe au fond de vous ! Et qui aujourd’hui vous réduit à flétrir votre frère….

- Un innocent séduit en toute naïveté par….

- Vous faites le procès du charme et de la séduction ! interrompit sèchement le prêtre Georges. Cette jeune fille est toute de candeur ! Mon rôle de prêtre consistait à la guider. J’ai failli à ma mission. Je suis seul coupable.

Le bourreau eut un geste désabusé.

- Que puis-je faire devant un tel entêtement ? soupira-t-il. Je rêvais d’aller voir le juge pour établir votre innocence…

- Laissez-moi retrouver ma dignité et aussi mon honneur. Que dirait-on d’un prêtre qui prétend être influencé par une enfant ? Ne passerai-je pas pour un lâche à défaut d’un faible d’esprit ?

- Georges… murmura l’exécuteur en le reprenant dans ses bras, elle a abusé de vous. Et maintenant, ignominie suprême, je suis obligé, moi, un bourreau de flétrir mon propre frère ! Oui j’en pleure… Voyez les larmes me prennent, des larmes de bourreau a-t-on jamais vu ça ? Nous ne sommes plus au temps où je venais à votre secours pour faire fuir les gosses du village quand ils vous jetaient des boules de neige ! J’aurais tant voulu vous épargner… Je suis au désespoir…

Il avait soudain rejoint un coin de la pièce. Une main crispée sur une pierre, tandis que de l’autre, il se pinçait le haut du nez, il coupa ses larmes. Puis il fit brusquement volte face, dans une bouffée de colère.

- Mais la rage me prend ! Oui ! Car la souffrance égale le déshonneur ! Notre famille Georges, connue de tous ! Quelle honte allons nous vivre ! Un bourreau flétrir son frère devant les gens du village ! Je vois déjà leurs regards narquois, le grand Mathieu Riboud, fils du meunier, le Catherin Chirat qui forge lui-même les fers, l’Horace Pugnan, son ombre, lâche avec les lâches, crotteux quand il est seul. Et il faudrait laisser passer un tel outrage ! Quand notre famille se retrouve humiliée ainsi, devant tous ? !

- Orgueil ! répliqua le prêtre. Terrible orgueil d’une famille dont l’âme se complaît dans la plus basse des oeuvres…. Cette honte me tourmente chaque nuit ! Ah Charles…. Même si je dois passer dans la vallée de l’ombre profonde je n’aurai pas peur car Dieu est avec moi…

- Arrêtez vos psaumes, Georges, cessez vos litanies…. Mais vous tremblez Georges, et vous êtes si pâle. Je peux abréger vos souffrances. J’ai amené, la mort au cœur, un pistolet…. Tenez ! Prenez-le !

Le prêtre Georges se laissa déposer l’arme dans les mains. Il se pénétra de son froid métallique, finit par saisir la crosse en frissonnant, plaça son doigt sur la gâchette. Ensuite, d’un geste très lent, il appuya le canon sur sa tempe. Il était blême.

- Vous me regardez sans peur Charles…. dit-il en faisant glisser le fût le long de sa joue. Vous ne craignez même plus de voir le sang de votre frère….

Le bourreau restait sans voix, le corps pétrifié par on ne sait quelle raison. Georges lui-même, qui pourtant le connaissait bien, ne put déterminer si son frère redoutait de le voir mourir devant lui ou au contraire s’y était préparé. Il sentit des perles de sueur glacée sur la peau de son visage, baissa les paupières, les rouvrit et planta son regard dans celui de son frère. Sans ciller des yeux, il mit ensuite le canon de l’arme dans sa bouche, puis d’un geste lent, très lent, il rendit l’objet.

- Je ne suis qu’un vase de terre où mon âme s’agite… mais je vivrais ! Je vivrais pour elle. Je ne peux la laisser, seule au monde ! Je boirais cette coupe de honte et chercherais à fuir…

- Et que deviendrez-vous malheureux ?

- Oh ! Si elle m’aimait… j’aurais peut-être la joie d’être…. son époux…

- Quitter les ordres pour elle… !. Ouvrez les yeux, Georges… A-t-on déjà vu une jeune fille de son rang épouser un prêtre défroqué, pauvre et de surcroît, fils et frère de bourreaux !

- J’ai pris les ordres pour sauver vos âmes et ne puis trouver le repos pour la mienne ! ! ! Et même si je priais pour vous, croyez-vous vraiment que les contritions de mon âme effaceraient vos crimes ? Mon sacerdoce n’est qu’une dérision…

- Alors je ferai justice… murmura le bourreau d’une voix inaudible.

Puis, d’un ton plus haut, il ajouta en le saisissant par les épaules

- Hurlez mon frère, hurlez quand vous sentirez la chaleur du fer. Que l’on croit à une atroce douleur…. Mais j’appuierai faiblement.

Ces derniers mots, l’accolade, firent trembler le prêtre Georges au point qu’il serait tombé sur le sol, si son frère ne l’avait épaulé jusqu’à la paillasse. Son teint passa d’une couleur cireuse à un blanc verdâtre.

- Je suis las…d’un coup, si las… soupira-t-il en s’asseyant.

Charles s’installa à côté de lui, épaule contre épaule, et posa sa main droite sur le haut de sa cuisse.

- Rassurez-vous autant qu’on peut le faire dans une si terrible épreuve…murmura-t-il d’une voix compatissante. Je vous accompagnerai pendant tout le chemin. Et n’ayez aucune crainte quant à la plaie… Aucun de mes patients n’a jamais attrapé la gangrène. Vous aurez le meilleur onguent. Ensuite je vous fais échapper…

- M’échapper ! Ainsi vous pouvez choir de votre intégrité pour le bien d’un malheureux….

- Georges… soupira le bourreau en le serrant dans ses bras. Nous étions si intimes… J’aurais pu vous ouvrir les yeux… retenir ce malheur…

- M’empêcher d’aimer… refuser d’être aimé… présomption Charles ! Personne ne peut diriger le cœur d’un autre…N’ayez aucun remords…

- Vous êtes un saint ! acheva-t-il en le serrant davantage contre lui . Avec votre bonté, vous trouveriez des excuses au diable !

Le prêtre hocha la tête.

- Courage mon frère…. acheva le bourreau d’une voix au bord des larmes.

Puis, comme il sortait, il s’arrêta, une main sur la poignée de la porte, et se retourna à demi pour lancer en guise d’au revoir.

- Cette jeune fille sera votre femme ou ne sera rien !

Lire la suite: Chapitre 12 - Mon frère !

 


 

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