L’école des mousquetaires, tome 1
Bertrand Puard
252 pages PKJ - 2022 - France Roman
Intérêt: **
Auteur de très nombreux romans souvent destinés à la
jeunesse, Bertrand Puard s’appuie régulièrement sur son
admiration pour Alexandre Dumas. On lui doit notamment
la formidable série Les Effacés,
pleine de références à Monte-Cristo, et Alexandre,
l’intrépide Dumas, où il combine éléments de
la vie de l’auteur et, là encore, du Comte de
Monte-Cristo. Voir son interview « Monte-Cristo,
c’est le roman vers lequel je vais courir toute ma vie
d’écrivain ».
Avec sa nouvelle série
L’école des mousquetaires, c’est cette fois dans
Les trois mousquetaires qu’il va chercher son
inspiration. L’histoire se passe en 1647. Elle commence
près de Lupiac, le village natal de d’Artagnan. On y
fait connaissance de deux petits adolescents, Eva et
Jules de Sandras, respectivement treize et douze ans.
Orphelins de leur mère, ils assistent impuissants à
l’enlèvement de leur père Charles dans leur château par
une troupe d’hommes armés. Leur seul recours: faire
appel au vieil ami de leur père, d’Artagnan. Ce dernier,
mousquetaire, se plaint justement à Tréville, son
capitaine, qu’il s’ennuie. Ses trois amis, Athos,
Porthos et Aramis, se sont dispersés, et il ne se passe
plus rien d’intéressant. Il faudrait d’ailleurs,
estime-t-il, rajeunir la troupe des mousquetaires qui
sont en train de vieillir (voir extrait ci-dessous).
A l’appel d’Eva et Jules, d’Artagnan se rend à Lupiac
mais il ne trouve pas le moindre indice concernant
l’enlèvement de son ami. Devant retourner à Paris, il
emmène les deux adolescents avec lui plutôt que de les
laisser seuls dans leur château. Justement, Tréville,
qui a réfléchi à l’idée de d’Artagnan, lui propose de
créer une école pour y former les futurs mousquetaires.
Jules en sera tout naturellement le premier élève. Une
vieille connaissance du temps de l’action des Trois
mousquetaires se propose comme intendante de
l’école: il s’agit de Ketty, l’ancienne servante de
Milady qui était amoureuse de d’Artagnan.
Eva ne demande qu’à entrer comme son frère dans l’école
des mousquetaires, idée jugée absurde par d’Artagnan.
Mais sous la pression conjuguée de Ketty et de l’épouse
de Tréville, le principe de former également des
mousquetaires filles est accepté. On assiste alors à la
mise en place de l’école. On y prodigue des cours
d’escrime, d’armes à feu, d’équitation, de stratégie
militaire, de géométrie, d’histoire, de médecine… Les
deux seules filles du groupe, Eva et Albane de Clèves,
ont du mal à se faire accepter. Mais il apparaît que
Ketty a un plan secret auquel elle associe les deux
adolescentes. Ces deux dernières s’imposent d’ailleurs
vite, à l’occasion de quelques péripéties aventureuses,
comme valant largement leurs condisciples masculins.
Jules finit par découvrir le secret de Ketty et des deux
jeunes filles: l’intendante a créé en cachette une école
parallèle destinée à compléter la formation des filles.
Les sous-sols de l’école officielle abritent des salles
secrètes avec armurerie, laboratoire, garde-robe… Ketty
y prépare Eva et Albane à mener des missions secrètes
dans le style de Milady, comme le dit d’Artagnan,
furieux, quand il découvre le complot.
Louis XIV, qui a neuf ans, s’intéresse à ces élèves
mousquetaires. Il les charge d’une mission délicate:
décourager un petit-neveu (12 ans) de Mazarin de faire
la cour à la jeune Amélie de la Roche-Brûlée dont il
(Louis XIV) est amoureux fou. Eva et Albane y
parviennent avec maestria.
Pendant tous ces événements, l’enquête sur
l’enlèvement du père des adolescents piétine. Jusqu’à ce
que les ravisseurs se manifestent à nouveau et enlèvent
le petit-neveu de Mazarin, son père et Jules par-dessus
le marché. Leur chef, arrêté, affirme à d’Artagnan et
Eva qu’il fait partie d’un groupe de conjurés contre
Mazarin, que Charles de Sandras était leur chef, qu’il
les a trahis, ce pour quoi ils l’ont enlevé. Et il
ajoute que Charles informait d’Artagnan qui savait tout
depuis le début. D’Artagnan nie avec indignation mais
Eva effondrée, ne sait plus si elle doit le croire ou
pas. C’est là que s’arrête le premier tome de ce qui est
annoncé comme une série.
Comme on peut s’y attendre de la part d’un professionnel
comme Bertrand Puard, le récit est fort bien écrit et
très enlevé. Les rebondissements se succèdent sans
faiblir avec de multiples scènes d’action. Le roman est
typique des récits pour jeunes adolescents que l’on voit
se battre contre les difficultés, s’imposer et triompher
au bout du compte. Les filles dominent, comme il se
doit…
Quelques éléments surprennent dans ce récit très
classique. Le rôle de Ketty est assez étonnant. La
petite servante naïve des Trois mousquetaires
est devenue une femme accomplie avec une volonté de fer
qu’elle sait dissimuler. Elle a en quelque sorte absorbé
certains traits de caractère de son ancienne maîtresse
Milady, mais pour se mettre tout entière du côté du
bien! D’Artagnan, à l’inverse, n’a pas toujours le beau
rôle: il lui arrive de passer ses nuits à boire, au
risque de ne pas voir ce qui se passe dans son école.
Hommage constant aux Trois mousquetaires, bien
entendu, le roman offre de nombreux clins d’oeil
dumasiens. Les professeurs de l’école, par exemple, se
nomment d’après des titres de Dumas: Balsamo, Pitou…
Un élément de l’intrigue semble un peu bizarre,
toutefois: les complots amoureux élaborés par Louis XIV
à neuf ans. On savait le roi porté sur les dames mais on
ignorait qu’il ait pu être aussi précoce!
L’école des mousquetaires est donc un excellent
roman pour adolescents: l'aventure se poursuit dans le deuxième
tome et s'achève avec le troisième.
Extrait du chapitre 4
- Alors, d'Artagnan, dit Tréville, que me voulez-vous
donc, en cette heure bien matinale, quand je m'apprête à
rendre visite à la régente ?
- Monsieur, je m’ennuie.
Tréville s'arrêta et dévisagea son interlocuteur.
- Allons bon ! Vos rondes au Louvre ne vous
occupent-elles pas assez ?
- Les rondes ne font pas les batailles.
- C'est une chance qu'on n'attaque pas le palais, que
diable ! constata Tréville. Et les missions secrètes que
nous confie le cardinal Mazarin ?
D'Artagnan haussa les épaules.
- De petites histoires trop vite résolues.
- Mais que voudriez-vous, mon jeune ami? Une guerre ? Un
siège ?
- De quoi m'occuper, monsieur... J'ai parfois
l'impression de me transformer, jour après jour, en une
de ces statues de pierre qui fleurissent dans les
jardins du royaume, et que, bientôt peut-être, on
exposera au Louvre pour contenter la Cour...
- Le Louvre transformé en musée ! rit Tréville. Quelle
drôle d'idée ! Mais j'entends ce que vous me confiez
là... Vous stagnez à votre grade de lieutenant et le
temps de vos exploits avec vos camarades Athos, Porthos
et Aramis vous manque, n'est-ce pas ? Les ferrets de la
reine, le siège de La Rochelle... Cela fera bientôt
vingt ans…
- Monsieur, la situation actuelle est un enfer, pour
moi... Mais je ne suis pas le seul mousquetaire à m'en
plaindre…
- À ce propos, avez-vous des nouvelles de vos trois
amis?
- Pas la moindre, hélas.
- C'est fâcheux.
- C'est mortel.
- Eh bien, la situation est ce qu'elle est, d'Artagnan.
En outre, je dois vous avouer que je ne me plains pas de
ne pas être dans l'urgence avec ma compagnie de
mousquetaires... Tout le monde a vieilli... Les soldats
que j'ai l'honneur de diriger n'ont plus leurs réflexes
d’antan... Ils sont pour la plupart devenus gras,
fainéants, plus à l'aise avec une bouteille de bourgogne
à la main qu'avec un mousqueton ou une rapière, et je
doute qu'ils soient à même de remplir les missions que
vous avez brillamment réussies par le passé…
- Monsieur, il faut rajeunir la compagnie des
mousquetaires. Faire entrer du sang neuf !
Tréville, comme perdu dans ses pensées, se caressa
plusieurs fois la barbichette.
- Ce que vous dites ne manque pas de sens… Je vais y
réfléchir, oui... En parler à Mazarin, à la régente...
Mais votre proposition n'est pas idiote, tant s'en
faut... Voyons... Selon vous, quelle est la moyenne
d'âge de la compagnie ?
- Quarante ans, dit d'Artagnan, alors qu'il n'en savait
rien, en vérité.
- C'est vieux.
- Bientôt, soupira d'Artagnan, nous serons bons pour
nous réunir à l'asile de vieillards... Dans un
dispensaire... Si ce n'est dans un cimetière...
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