L’école des mousquetaires, tome 2
Bertrand Puard
240 pages PKJ - 2023 - France Roman
Intérêt: **
Ce tome deux de L’école des mousquetaires
enchaîne directement sur le premier tome
paru en 2022. On y retrouve d’Artagnan et Eva de
Sandras, élève la plus brillante de son école destinée à
la formation de jeunes mousquetaires, toujours à la
recherche de Charles et Jules de Sandras, ses père et
frère, enlevés par l’infâme Bernadac, à la solde des
frondeurs.
D iverses péripéties les
mènent dans le Berry. Comme s’il prévoyait un malheur,
d’Artagnan dit à Eva de s’adresser à Athos, Porthos et
Aramis s’il venait à disparaître. Et justement, c’est ce
qu’il arrive: le mousquetaire s’évapore dans une chambre
close, apparemment transformé en serpent par la Bête
Faramine, un serpent ailé qui hante les campagnes du
Berry… Confrontées à cet événement fantastique, Eva et
son amie Albane vont chercher l’aide d’Athos, à
Bragelonne.
En arrivant sur les terres de ce dernier, elles font la
connaissance d’un garçon du même âge qu’elles: il s’agit
de Raoul de Bragelonne, le futur vicomte. Un jeune homme
intéressant, à la fois courageux, fier et quelque peu
prétentieux. Les deux filles rencontrent Athos dont
d’Artagnan leur a beaucoup parlé. Ce dernier hésite
quelque peu à les accompagner mais finit par se décider
sous le pression des trois jeunes gens (voir extrait
ci-dessous).
Leurs investigations dans la campagne berrichonne leur
permettent de retrouver d’Artagnan (qui ne s’était donc
pas transformé en serpent) et Jules. La petite troupe se
rend alors à Lupiac, village des Sandras et de
d’Artagnan. La découverte d’une grotte secrète leur
permet de délivrer Charles de Sandras. Mais celui-ci,
extrêmement affaibli par sa captivité, meurt aussitôt.
Le roman se termine sur une révélation concernant la
paternité de Jules, la fuite du grand méchant Bernadac
et un coup de théâtre: à peine rentré à Paris,
d’Artagnan est arrêté pour trahison, sur ordre de
Mazarin.
Ce deuxième volume de la série est tout aussi réussi que
le premier dans le registre « roman pour petits
adolescents ». Conformément, sans doute, aux règles
du genre, les enfants (Eva et Jules n’ont en fait que 13
et 12 ans) dominent largement le récit. Eva, en
particulier, s’impose à la tête du petit groupe. Elle
prend des décisions, n’hésite pas à refuser un ordre du
roi, supplée aux insuffisances des adultes qui
l’entourent. Ces derniers, à dire vrai, ne sont pas
gâtés. D’Artagnan a ses bons moments mais il souffre
d’abuser de la bouteille et de la bonne chère. Quant à
Athos, les ados doivent lui faire la morale pour qu’il
se décide à bouger de chez lui, il s’enivre et n’entre
en scène que pour se faire rudement assommer (par
erreur) par d’Artagnan: il redisparaît donc aussitôt. La
relégation des adultes au deuxième plan va très loin:
Bertrand Puard n’hésite pas à éliminer carrément le père
des deux petits héros avec la mort de Charles de
Sandras. Une introduction du tragique dans son roman qui
risque de ne pas plaire à tous ses jeunes lecteurs.
On peut noter enfin que l’auteur s’amuse avec les
figures classiques de la littérature populaire: le
fantastique avec la Bête Faramine, un mystère de chambre
close, complet avec le plan de la pièce…
La série se termine avec un troisième
volume.
Extrait du chapitre 12
Leur long récit venait de prendre fin et il était
l'heure, pour Eva, de poser la fatidique question, la
seule qui comptait, en vérité :
- Monsieur le comte, acceptez-vous, au nom de cette
amitié indéfectible qui vous lie depuis tant d'années à
d'Artagnan, de nous accompagner sur la trace de
Bernadac?
Athos ne dit rien. Son visage ne reflétait aucune
expression particulière. Il se leva, doucement, et se
mit à arpenter la grande pièce.
- Je ne fais pas de politique, finit-il par lâcher. Et
vos frondeurs ne m'intéressent en rien, pas plus que
ceux qui soutiennent le cardinal Mazarin. J'ai servi le
roi, autrefois, il se nommait Louis XIII. Le temps a
passé...
Raoul se leva à son tour.
- Eh bien? Ce n'est pas une réponse, cela, parrain !
Athos lança un regard sévère au jeune garçon.
- J’y viens... Votre histoire de Bête, de serpent,
autour de cette légende, je n'y crois guère.
- Nous n'y croyons pas non plus, monsieur, intervint
Albane, mais nous vous assurons que tout s'est passé
comme cela... et que d'Artagnan reste introuvable.
- C'est un coup en douce qu'il nous fait ! tonna Athos.
J'en suis persuadé ! Et j'ignore si je dois risquer ma
retraite, à mon âge, pour me mettre sur la piste de
votre Bernadac, dont je ne sais rien, et dont, surtout,
je ne veux rien savoir…
- Mais, et l'amitié, monsieur! ajouta Eva, qui
commençait à redouter un non ferme et définitif.
Athos se remit à marcher. Et ce fut l'instant que
choisit le jeune vicomte de Bragelonne pour rejoindre le
grand homme. Son visage avait viré à l'ocre, sa mâchoire
était contractée avec une telle force qu'on voyait
poindre les os des joues sous la peau.
- Monsieur, commença-t-il, depuis de nombreuses années,
vous avez la charge de mon éducation et je mesure,
chaque jour que Dieu nous donne à vivre ensemble en ce
domaine, la chance que je possède d'apprendre à vos
côtés le maniement des armes, l'équitation, la
littérature, les sciences et le code de l'honneur. Cela
étant, il me semble que votre enseignement se concentre
autour de ces deux notions qui séparent l'homme sensible
de celui qui ne l'est pas et ne le sera jamais, et je
parle ici de l'homme contre l’homme, sans y opposer
l'animal car on rencontre des bêtes bien plus humaines
que certains hommes...
- Et que certaines femmes, ajouta Eva.
Le vicomte hocha la tête.
- Puisque vous le dites... Bref! Ces deux sentiments,
piliers de vos enseignements, ont pour nom français :
l'amour et...
- L’amitié, compléta Eva.
Raoul de Bragelonne tapa du pied contre le plancher.
- Vous m'enlevez ce mot de la bouche, mademoiselle.
- Certes pas, vicomte. Il résonne aussi fort et aussi
juste dans la mienne.
Raoul s'inclina, avant de continuer:
- Et il me semble ici, monsieur le comte de La Fère, que
ces deux fières demoiselles viennent vous rappeler une
part de cette amitié qui vous lie toujours à d'Artagnan
et qui ne s'éteindra que lorsque vous serez, l'un comme
l'autre, gisant dans quelque tombeau, cela le plus tard
possible, comme de bien entendu..
Eva rougit. Ce plaidoyer la touchait au cœur. Athos
souriait en grand. Il avait pris plaisir à cette joute
entre deux cœurs jeunes et fiers.
- Cette amitié est la seule monnaie qui vaille, conclut
Raoul, et vous ne devriez pas hésiter un seul instant à
l'accepter en paiement du service qui vous est demandé…
- Assez ! cria Athos.
- J’ajoute, parrain, qu'il n'est de meilleure école que
celle de l'aventure vécue et des chemins traversés, et
je propose donc de vous accompagner en Brenne pour
résoudre le mystère à l'auberge et poursuivre la trace
de ce Bernadac !
- Il suffit ! fulmina Athos.
- Monsieur, osa Eva.
- Taisez-vous ! hurla le comte de La Fère. Ah, cette
nouvelle engeance, cette jeunesse si sûre d'elle qu'elle
aimerait en remontrer toujours à ses aînés…
- Nous sommes tels que vous nous faites, dit Raoul, en
se rasseyant.
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