Marie-Antoinette* in Contes de l’au-delà, sous la dictée des esprits
Charles d’Orino
7 pages Editions Félix Juven - 1904 - France Nouvelle
Intérêt: 0
Ce texte est le troisième des Contes de l’au-delà
sortis de l’oubli par Noëlle Benhamou. Il a été publié,
accompagné d’une présentation, dans la revue Le
Rocambole fin 2006, après les deux premiers récits de la
série, Les
angoisses du grand cardinal et Un rêve de
quarante ans.
Sur l’origine de ces textes présentés comme écrits par «l’esprit» de Dumas père, voir
l’article sur Les angoisses du grand cardinal.
Dans ce troisième et dernier texte, « l’esprit de Dumas
» évoque Marie-Antoinette, personnage historique présent
dans de nombreux romans de Dumas père, et en premier
lieu dans Le collier de la reine. On y
retrouve malheureusement bien peu du véritable « esprit
» de l’écrivain…
Texte intégral de Marie-Antoinette
Par l’«Esprit» d’Alexandre Dumas père
Où nous apprendrons au lecteur ce qu'il faut entendre
par l'au-delà
Ne vous êtes-vous pas souvent demandé, ami lecteur, si
l’astre de la nuit qui éclaire de sa lumière discrète
les promenades des amoureux – la lune, puisqu’il faut
l’appeler par son nom – n’offrait pas une ressemblance
quelconque, au point de vue des mœurs, des habitudes et
des habitants, avec la terre où vous résidez; et, comme
le plus perfectionné des télescopes et le plus savant
des astronomes n’ont pu satisfaire entièrement votre
curiosité, vous avez eu recours à votre imagination qui,
en personne complaisante, toujours prête à répondre,
vous a fait voir, pour le plus grand agrément de votre
cerveau, ce monde lunaire enrichi de fleurs
merveilleuses, de sites enchanteurs. Mais permettez-moi
de vous faire observer que si vous lui aviez demandé de
bien vouloir vous décrire l’univers qui réunit dans son
sein lunes, étoiles, soleils et planètes, malgré toute
sa bonne volonté, il lui eût été impossible de vous
répondre, car si fertile que soient les ressources de
«Dame Imagination», elle ne peut pourtant vous faire
entrevoir, même un instant, ce qu’est ce monde
merveilleux qui réunit tous les autres mondes et qui est
la manifestation indéniable de la puissance du Créateur.
L’au-delà, cher lecteur, que, de mon temps, on appelait
plus simplement et moins justement «l’autre monde», est
le passage transitoire qui réunit la terre à d’autres
terres; c’est l’Océan immense qui baigne dans ses flots
infinis le système planétaire et le relie. C’est encore,
si vous aimez mieux, l’enveloppe brumeuse qui entoure
les mondes, mais n’allez pas conclure de cette dernière
phrase que tout est terne et gris dans ce lieu de
transition qui n’offre aucune ressemblance avec la
terre, même si on le met en parallèle avec les plus
beaux sites de votre planète.
Sur terre, les saisons seules font varier la nuance des
feuilles; la végétation est d’un vert tendre au
printemps et d’un jaune doré à l’automne, sans que ces
deux tons en affectent jamais d’autres. Dans notre monde
nous avons bien, en effet, une sorte de végétation
fictive, mais ses nuances changent à tout moment et
varient à l’infini; enfin, l’habitation proprement dite,
l’architecture sont toutes différentes, le règne de la
pierre étant remplacé par le règne des couches
fluidiques.
Si l’aspect général de l’au-delà offre ainsi une notable
dissemblance avec la terre, cette dissemblance est
encore plus marquée en ce qui concerne ses habitants.
Sur terre la position sociale est tout, et la position
morale passe après. Chez nous, au contraire, la position
sociale n’est rien, mais la situation morale est tout.
Ici bas – comme on disait encore de mon vivant – il y a
des lois de politesse, de savoir-vivre, à pratiquer, un
cérémonial à observer.
Dans le monde des Esprits, la charité remplace la
politesse; la franchise, le savoir-vivre et le
cérémonial sont détrônés par la bonne cordialité. C'est
ainsi, ami lecteur, qu’au lieu d’être timoré et craintif
quand il s’agit d’aborder une personne avec qui nous ne
sommes liés par aucun rapport d’amitié et qui ne nous a
pas été présentée, nous nous adressons tout bonnement à
elle sans ambages et sans vergogne aussi, parce que nous
savons que nous ne l’étonnerons pas plus qu’il ne nous
aura coûté à nous de lier connaissance avec elle.
Si l’homme est cérémonieux sur terre, c'est parce qu’il
est trop facilement trompé. Le corps, cette vilaine
enveloppe qui est si gênante, lui masque la pensée de
son prochain; c'est ce qui le porte naturellement à la
défiance. Chez nous, au contraire, rien ne peut se
cacher d’un Esprit à l’autre, parce que toutes les
pensées se lisent et se devinent, et j’ajouterai même
que c'est là que réside la grande différence entre les
mortels de la terre et les immortels de l’au-delà.
Il résulte de cet état de choses – et le lecteur l’aura
sans doute déjà compris – que l’Esprit devient plus
sage, puisqu’il sent l’inutilité de cacher sa pensée et
l’utilité de vivre en bon accord. Les Athos, Porthos et
leur suite s’assagissent, s’apaisent, et rengainent sans
protester les épées qu’ils ont laissées sur terre et qui
se rouilleront désormais dans leurs fourreaux.
D’où il s'ensuit que les reines et autres
grands personnages ont parfois de désagréables
surprises en arrivant dans ce même au-delà
Il n’y a pas très longtemps de cela, ami lecteur, et tu
t’en souviens peut-être encore, il y eut sur la terre de
France beaucoup de sang versé. Le peuple qui, à certains
moments, devient la plus monstrueuse des bêtes féroces,
le peuple, dis-je, lassé d’être seulement le peuple,
envoya par centaines à la guillotine ses nobles et ses
princes; le fatal instrument fonctionna sans trêve, et
les gouttes du sang illustre qui l’inondèrent n’avaient
pas le temps de sécher que d’autres gouttes venaient s’y
ajouter, engluant d’une boue épaisse les marches qui
menaient à l’échafaud.
Dans le monde des Esprits avoisinant la terre et
particulièrement la France, l’agitation était extrême,
et cette partie de l’au-delà si gaie, si lumineuse,
était devenue presque lugubre, car les vies supprimées
ici-bas, ressuscitées là-haut, ne s’affirmaient comme
ressuscitées qu’avec d’extrêmes efforts; la plupart
étant, en effet, issues de jeunes corps pris en pleine
santé, fauchés en pleine vigueur. Mais, sans contredit,
celle qui précéda ce défilé lamentable, celle qui donna
le plus de peine à dégager de ses fluides terrestres
d’abord, à convaincre de son immortalité ensuite et par
conséquent de son changement de vie complet, ce fut
Marie-Antoinette.
La grande reine, quoique débarrassée de son corps,
souffrit beaucoup et pendant assez longtemps. D’un geste
de désespérée, elle portait la main à son cou blanc en
criant et en assurant qu’elle sentait encore le froid
tranchant du terrible couperet. Pourtant sous l’effort
bienfaisant des Esprits qui avaient entrepris la tâche
charitable de la délivrer, elle finit par se calmer et
le calme amena avec lui le recouvrement de ses sens.
Alors, la grande reine jeta des regards surpris autour
d’elle, et, ne réussissant pas encore à comprendre, elle
questionna pour savoir ce que cela voulait dire.
Des âmes de bonne volonté lui répondirent, lui
expliquèrent longuement la condition des immortels. Elle
écouta attentivement, mais d’un air sombre, ces
renseignements; puis, redevenue très reine devant la
familiarité bien naturelle de ses interlocuteurs, elle
remercia brièvement et s’éloigna lentement.
L’idée de Marie-Antoinette était celle-ci: peut-être
qu’en cherchant bien, elle retrouverait dans ce grand
au-delà, une partie de cette cour qui l’avait tant
adulée et fêtée lorsqu’elle était encore mortelle,
qu’elle y vivrait de nouveau, éloignée de ces Esprits
qui l’avaient entourée depuis sa mort, et dont la
conversation, dépourvue de l’obséquiosité qui sied aux
courtisans, lui avait été si particulièrement
désagréable.
Et c'est ainsi que ne voulant avoir recours à aucun de
ces Esprits qui lui paraissaient trop ressembler au
peuple hideux qui était la cause réelle de sa venue
prématurée en ce monde, elle s’en fut toute seule et
elle erra longtemps. Puis, comme ses pieds, encore mal
dégagés, éprouvaient quelque peine à se mouvoir ainsi,
elle s’arrêta et s’appliqua à regarder les âmes qui
passaient, espérant toujours découvrir parmi elles des
âmes amies et surtout respectueuses de son titre de
reine. Car, de même que de son vivant, Marie-Antoinette
tenait plus à l’admiration flatteuse et à l’adulation
qu’à l’amitié réelle et à l’admiration sincère.
Mais la reine ne vit défiler devant elle que des Esprits
qui lui étaient inconnus; ils étaient simplement vêtus
de blanc, et la seule différence qui existât entre eux,
c'est qu’ils dégageaient plus ou moins de clarté.
Ils allaient et venaient avec l’allure paisible et
active tout à la fois qui caractérise ceux qui font le
bien; pas un d’eux ne daigna faire attention à elle; ils
semblaient pour la plupart ne pas la connaître.
Cependant une femme s’approcha et lui dit doucement,
mais avec familiarité:
«Vous êtes en grand désarroi, pauvre reine. Je connais
ce que vous ressentez, l’ayant ressenti moi-même jadis,
il y a déjà un bon nombre de siècles. Et pourtant une
éducation plus chrétienne que la vôtre m’avait préparée
à l’humilité. Ayez du courage. Je ne puis que vous
conseiller ceci: oubliez cette couronne qui vous a, du
reste, été si funeste; laissez s’enfuir dans le passé
une vie de grandeurs terminée par un drame, et ne songez
plus qu’à acquérir des mérites qui vous feront autant
aimer de ceux qui vous entourent maintenant, que vous
avez été haïe de ceux que votre orgueil a dominés…»
Puis, Blanche de Castille – car c’était elle – se tut,
mais, quand elle eut fini, Marie-Antoinette, sombre, et
que ce discours semblait avoir peu convaincue, se leva
et s’éloigna de nouveau sans répondre.
Qu’est-elle devenue? C'est ce que personne n’a jamais
su. D’aucuns prétendent qu’elle est maintenant sur terre
et que, chaussée de gros sabots et vêtue de la toile des
servantes, elle expie avec résignation une vie
d’orgueil.
Ami lecteur, si tu la rencontres jamais, salue-là
maintenant avec respect, car elle représente
l’Expiation.
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