La fin de Chicot (Les Quarante-Cinq)
Paul Mahalin
460 pages 1898 - France Roman
Intérêt: **
Grand spécialiste des suites de Dumas, Paul Mahalin ne
s’est pas intéressé seulement aux mousquetaires
(avec D’Artagnan, Le fils de Porthos,
Le filleul
d’Aramis) et à Monte-Cristo (Mademoiselle
Monte-Cristo). Il a également entrepris de
compléter la série des Valois (La reine Margot, La
dame de Monsoreau, Les Quarante-Cinq), laissée
inachevée par Dumas.
Ce n’est pas moins de quatre volumes que Mahalin a
écrit pour poursuivre les aventures de Chicot, le
bouffon – et meilleur soutien – du roi Henri III.
Cette série comprend successivement Le Roi de la
Ligue, Les barricades, Le dernier
Valois, La fin de Chicot. Dans ce dernier
volume, l’action tourne autour d’une belle jeune fille,
Claude Hugonnet. Son père est un richissime commerçant
parisien et agent de la Ligue des catholiques ultras qui
lutte contre Henri III d’une part et l’hérétique Henri
de Navarre d’autre part.
Son père ayant été capturé et pendu par les hommes du
futur Henri IV, Claude cherche d’abord à se venger :
elle organise un guet-apens où Henri III et Henri de
Navarre, qui se rencontrent pour négocier leur alliance,
seront livrés aux Guise, qui dirigent la Ligue. Le piège
échoue grâce à l’intervention de Chicot.
Claude décide de pardonner, de se faire religieuse et…
de léguer la fortune de son père à Henri de Navarre pour
lui permettre de devenir Roi de France après Henri III
et d’œuvrer à la réconciliation de la France.
Simultanément, les Guise, menés par la duchesse de
Montpensier, continuent à comploter contre Henri III. La
redoutable duchesse manipule le jeune moine Jacques
Clément qui finit par assassiner le roi, malgré les
efforts de Chicot.
Le livre s’achève sur la mort d’Henri III. La «fin» de
Chicot n’est en fait nullement sa mort à lui, mais
simplement la fin de son monde, puisqu’il ne vivait que
pour son roi. Ce qui d’ailleurs laisse la porte ouverte
à une suite éventuelle. D’autant que la belle Claude a
un serviteur à moitié sauvage, d’un dévouement fanatique
à sa personne envers qui il éprouve une jalousie
maladive: un certain Ravaillac…
Placé explicitement sous le patronage de Dumas, cité
au début du livre, le roman s’inscrit dans le droit fil
des Quarante-Cinq. On y retrouve certains de
ces derniers, le personnage central de Chicot, ses
relations complexes avec les deux rois Henri, etc… A
noter: le livre couvre à peu près la même période qu'une
autre suite, La
fille de Chicot de Charles Vayre. L'action
de La Belle
Gabrielle d'Auguste Maquet se déroule
quelques années plus tard.
Mahalin étant un écrivain consciencieux et talentueux,
le roman se lit avec grand plaisir, même si les
métamorphoses successives de Claude sont difficilement
crédibles et si la fin est un peu bâclée.
Extrait du chapitre 9 …où le lecteur
trouvera la suite du précédent
A son approche, le Roi (Henri de Navarre) faillit
reculer comme devant une vision funèbre.
Arrivée devant lui, elle (Claude Hugonnet) s'inclina en
un salut imperceptible, et, du ton dont on revendique un
droit bien plutôt que de celui dont on sollicite une
faveur:
— Sire, dit-elle, je viens implorer une grâce.
Puis, sans attendre une réponse:
— Mais, avant tout, il importe que vous me
connaissiez...
Sa voix, de sourde et de sombre, devint nette, brève,
aiguë, tranchante:
— Je suis la fille de l'homme qu'on a pendu ce matin.
Il y eut dans 1'auditoire un long frémissement.
Henri jeta un cri:
— Vous êtes la fille de...
— La fille du supplicié, oui, Sire.
Elle appuya:
— La fille de l'envoyé des Seize.
Le Roi la regardait avec stupeur.
— Oh! mais, balbutia-t-il après un instant, oh! mais je
n'étais pas ici quand l'exécution a eu lieu... Ce n'est
pas moi qui ai donné l'ordre... Si j'avais été 1à, les
choses se seraient passées autrement...
Elle répliqua froidement:
— Sire, ce n'est pas à une enquête que je procède... Ce
n'est pas un réquisitoire que je prononce... Qui a
ordonné l'horrible chose?... Qui lui a permis de
s'accomplir ?... C'est le dernier de mes soucis — pour
le moment... Je constate un fait, voilà tout: c'est
qu'il y a là-bas un mort accroché au gibet infâme...
Pendant qu'elle parlait ainsi, Henri la dévorait des
yeux.
Elle reprit avec une âpre et impétueuse énergie:
— Ce mort est à moi. Il m'appartient. Il faut me le
rendre.
— Vous voudriez...
— Je veux le corps de mon père, oui, vraiment. C'est mon
bien: je le réclame. C'est mon héritage: va-t-on essayer
de me le voler? Après l'avoir tuée, va-t-on poursuivre
la victime jusque par delà le supplice? Va-t-on lui
refuser une sépulture chrétienne? Et vais-je être
contrainte d'imiter la Rhespha de la Bible, qui s'en fut
s'asseoir au pied du gibet de son père afin d'en
éloigner par ses cris les corbeaux et les vautours?
— Il sera fait selon vos désirs, murmura le Roi, qui
avait courbé le front sous ces paroles.
Puis, déchiré d'émotion et de regrets:
— Mais je ne suis pour rien dans cette mort... Je vous
le jure!... J'en atteste le Ciel...
— Ceci, repartit Claude impassible, ceci est une affaire
entre votre conscience et vous, une affaire entre ceux
qui ont fait besogne de bourreaux et celui qui, là-haut,
fera oeuvre de juge.
Elle ajouta, sans qu'aucun muscle tressaillit sur son
masque marmoréen:
— J'attends qu'il plaise à Votre Majesté de faire en
sorte que le cadavre me soit remis incontinent.
Henri se tourna vers M. de Saint-Gelais.
— Vous avez entendu? Allez et faites le nécessaire.
Le major-général sortit avec précipitation: il lui
tardait d'être hors de la présence de cette fille dont
il avait fait exécuter le père.
— Merci, Sire, dit la jeune fille.
Elle fit mine de prendre congé.
— Un instant!... Un instant, de grâce! s'exclama Henri
suppliant.
Ensuite, aux gentilshommes:
— Messieurs, laissez-nous, je vous prie.
Tout le monde se retira, sauf Chicot.
Celui-ci, dès l'entrée de la visiteuse, s'était effacé
dans un coin où il demeurait attentif.
— D'Aubiac, fermez les portières, commanda le Roi à son
page.
Puis, quand les épaisses draperies furent retombées:
— Claude, ma belle Claude! s'écria-t-il en faisant un
mouvement pour courir à la jeune fille.
Celle-ci le cloua à sa place d'un regard hautain et
glacé.
— La bienveillance que Votre Majesté daigne me
témoigner, poursuivit-elle avec un respect affecté,
m'enhardit à lui présenter une nouvelle requête.
— Parlez!... Donnez des ordres: ils seront obéis... Trop
heureux, si, en me faisant l'esclave de vos volontés,
j'arrive à effacer de votre esprit, de votre cœur...
Elle l'interrompit d'un geste sec et cassant:
— Abrégeons. Mon temps ne m'appartient pas. Il
appartient au pauvre mort... Il s'agit de mon compagnon
de voyage,— François Ravaillac...
— Ah! oui: le cerbère qui m’a montré ses crocs cette
nuit... Et vous dites qu’il s'appelle François
Ravaillac... Ravaillac!... Ravaillac!...
Le Roi avait répété ce nom comme si celui-ci avait
quelque chose qui le frappait particulièrement.
— C'est un Gascon ? demanda-t-il.
— Il est d'Angoulême. Vos soldats l’ont arrêté et
emprisonné, ce matin, comme nous entrions en ville. Or,
je puis affirmer à Votre Majesté que rien dans sa
conduite ne pouvait justifier une semblable mesure.
— C'est bien, c'est bien, ma chère âme: ce garçon sera
relaxé.
— Alors, il ne me reste plus qu'à faire mes adieux à
Votre Majesté, en espérant qu'il ne sera mis aucune
entrave à mon départ.
— Vous songeriez à nous quitter?
— Dès demain, à la première heure, avec mon lugubre
bagage.
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